Dernières Nouvelles d'Alsace, 21.08.2001
Imbroglio juridique Par Odile Weiss
Un divorce n'est jamais simple. Lorsqu'il implique un Français et un Allemand,
tout se complique. A cause de la différence entre les droits des deux pays. Beaucoup
d'enfants de couples mixtes franco-allemands sont
emmenés, après la séparation de leurs parents, de l'autre côté du Rhin. Bien
peu en reviennent. Le fond du problème, explique Alain Mancini,
secrétaire permanent de la Commission parlementaire franco-allemande
de médiation, réside dans le droit familial allemand, "différent du
nôtre". Il considère en effet, par exemple, qu'un seul parent peut suffire
à élever un enfant. Dans ces conditions, "le droit de visite n'est pas
systématiquement accordé à l'autre, comme en France", indique le
magistrat. En outre, insiste Denis Paolini,
secrétaire de SOS Enlèvements d'Enfants, "les juges allemands ont tendance
à considérer que l'enfant sera mieux en Allemagne qu'en France". Certes,
il existe des conventions internationales. Mais, observe le député Pierre Cardo, membre de la commission franco-allemande
de médiation (*), elles sont souvent inopérantes "du fait de la différence
entre les droits nationaux, d'une mauvaise application voire dans certains cas
d'un nationalisme mal compris qui consiste trop souvent, pour le pays
d'accueil, à placer les intérêts et désirs du parent accapareur avant le droit
de l'enfant à ses deux parents". Progrès Cette situation, continue M. Cardo, "est de plus en plus mal vécue par les parents
français privés de tout droit de visite, d'hébergement, voire de contacts avec
leur enfant. Elle s'aggrave encore quand des décisions contradictoires sont
rendues, quand les décisions françaises ne sont pas exécutées à l'étranger,
quand des pensions alimentaires hors de proportion sont exigées, quand des
visites sont organisées dans des conditions humiliantes pour le parent français
ou enfin quand des décisions de changement de nom de l'enfant sont
imposées". Pourtant, les choses avancent, insiste M. Mancini.
"On a le sentiment que ce problème qui était ignoré voire méprisé il y a
encore quelques années est pris en compte par les représentants politiques
allemands" ainsi que "par le procureur général de Bonn et le
ministère fédéral de la justice". Il y a, affirme-t-il, "une
évolution, même si elle est lente". Des initiatives existent qui devraient
permettre d'accélerer les choses. Comme
l'organisation prochaine de séminaires à l'intention de magistrats français et
allemands. "On peut espérer, indique M. Mancini,
qu'ils seront suivis d'avancées intéressantes". (*) Dans une question
adressée le mois dernier à la ministre de la Justice.
Dernières Nouvelles d'Alsace, 21.08.2001
Le Rhin sépare toujours les familles Par Odile Weiss Certains enfants de couples binationaux séparés sont
retenus outre-Rhin par leur parent allemand, au mépris des décisions des
tribunaux français. Privés de contact avec leur parent français, ils sont
l'objet de batailles juridiques inextricables. C'est une photocopie d'une
banale photo de classe, hélas de mauvaise qualité. On y discerne avec peine les
visages des adolescents regroupés pour la circonstance. Mais pour Jean Trillsam, ce document envoyé par un directeur de lycée
compréhensif, n'a pas de prix. Car grâce à lui, il sait à peu près à quoi
ressemble aujourd'hui son fils, Kevin. Sa fille? Il
n'en a pas la moindre idée. Sur les photos de l'album de famille, Nathalie a
toujours 4 ans. La dernière fois que Jean Trillsam a
vu ses enfants, "c'était à la Pentecôte 94", se souvient ce comptable
de Steinbach. Tout au plus a-t-il pu, jusqu'à l'année
dernière, échanger une fois ou l'autre quelques mots avec eux au téléphone. En
allemand. Les enfants, qui vivent à présent depuis dix ans de l'autre côté du
Rhin, ont oublié la langue de leur pays de naissance. Procédures En 1991, le
couple Trillsam décide de se séparer après onze
années de mariage. L'ordonnance de non-conciliation accorde le droit de garde à
la mère, Allemande, qui repart aussitôt dans son pays en emmenant les enfants
avec elle. Le père obtient un droit de visite (un week-end sur deux et la
moitié des vacances) qu'il a pu exercer pendant trois ans. Jusqu'au jour
"où elle a refusé de me donner les enfants. Elle m'a dit que si je venais
les chercher, elle porterait plainte". Jean Trillsam
a tout de même fait le voyage. Six heures de route pour trouver porte close. Il
a refait le trajet, trois années durant, à l'occasion de toutes les vacances
scolaires. Mais "il n'y avait jamais personne". Et les plaintes déposées
pour non-représentation d'enfants après chaque retour
restent sans suite. "En 1996, j'ai cessé d'y aller", raconte M. Trillsam. Le comptable apprend en effet qu'en Allemagne, il
fait l'objet d'un mandat d'arrêt, suite à une plainte pour attouchements
sexuels déposée par son ancienne compagne. Une accusation qu'il réfute et dont
il a été blanchi par la justice française en 1999. Entre-temps, toutes les
démarches entreprises pour voir ses enfants ont échoué. Sa demande d'exequatur,
destinée à faire reconnaître son droit de visite par les autorités allemandes a
été rejetée en 1997 par la justice d'outre-Rhin. Sa tentative de conciliation,
par le biais de la Commission parlementaire franco-allemande
de médiation, s'est soldée par une fin de non-recevoir. Les chèques de plus de
2000 francs qu'il envoie tous les mois, au titre de la pension alimentaire,
sont eux, toujours régulièrement débités. Des dizaines de cas M. Trillsam a bien obtenu il y a quelques mois la condamnation
de son ex-épouse à deux mois de prison avec sursis
pour non-représentation d'enfants. Mais elle a fait
appel. L'affaire, renvoyée a plusieurs reprises, devrait être jugée en octobre.
Aujourd'hui, nerveusement et financièrement épuisé après des années de
procédures sans résultat, Jean Trillsam ne se fait
plus d'illusions. D'autant que son fils sera bientôt majeur. Mais il continue à
se battre, au sein de l'association SOS Enlèvements d'Enfants dont il est le
trésorier. Pour Kevin, Nathalie "et tous les
autres". Tous ceux qui sont soustraits à leurs parents français grâce à la
protection que la législation allemande accorde à ses ressortissants.
Impossible de savoir combien ils sont en France. "Il n'existe pas de
statistiques fiables", regrette Alain Mancini,
secrétaire permanent de la Commission parlementaire franco-allemande
de médiation, créée en 1999 par le garde des Sceaux pour aider à dénouer ce
genre de situations. A ce jour, calcule-t-il, "nous avons reçu 32
requêtes, dont deux de la part d'Alsaciens". Si l'on en croit SOS
Enlèvements d'Enfants, le nombre serait bien plus élevé. "Rien qu'avec
l'Allemagne, nous avons 150 cas d'enfants enlevés ou qui n'ont pas accès à leur
parent français", affirme Denis Paolini,
secrétaire de l'association. Dont "plusieurs dizaines en Alsace et en
Moselle". C'est pour eux que Jean Trillsam a
observé dix jours de grève de la faim, à Berlin, avec une poignée d'autres
parents. Pour que "les Allemands changent leurs lois, qu'ils reconnaissent
les mêmes droits aux deux parents et qu'ils respectent les décisions des
tribunaux français".